À quelques kilomètres d’Albarracin, après une nuit passée dans cet endroit enchanteur, nous nous levons alors que le soleil apparaît déjà haut dans le ciel. Il est neuf heures.
Les yeux légèrement entrouverts, pour rester la plus discrète possible, je m’interroge malicieusement: aurais-je mon petit déjeuner tout prêt ce matin sans avoir à lever le petit doigt? Question capitale pour rester quelques minutes de plus sous la couette. Dans Roulotte, il est difficile de se croiser.
Bonne excuse, n’est-ce pas?
Installée bien au chaud avec mon thé fumant préparé avec grand soin par Jean-Paul, hé hé, j'aperçois une jeune biche broutant quelques épis de blé dans le champ voisin. Ni une ni deux, je sors mon appareil de sa sacoche pour immortaliser la belle effrontée.
De belles surprises
C’est en opérant un focus sur le bloc de grès ocre à ma gauche, qu'une forme incongrue se détache de la falaise; serait-ce une gargouille colossale? Les rayons du soleil, plongeant sur cette sculpture naturelle, mettent en lumière un personnage d’un autre âge. Nous ne l’avions pas vu hier soir en arrivant, car l'éclairage était à l’opposé. Peut-être est-ce un avant-goût des trolls que nous pourrions découvrir en Norvège?
Me remettant de ma surprise, je tente de prendre quelques clichés du cervidé. Pas facile de le photographier tant il est furtif. Très vite, il disparaît.
À la découverte d’Albarracin...
C’est aussi pour ces instants magiques, que nous avons du mal à quitter des lieux insolites dénichés souvent par hasard. Pourtant, la cité mythique d’Albarracin mérite le détour, loin des villes surpeuplées et touristiques d’Espagne comme Cordoue, Grenade ou Séville.
Alors que tout est bien rangé, espérant que notre Roulotte ne se fera pas repérer, nous la confions à notre géant de pierre avant de reprendre la piste pour Albarracin.
De très loin, des fortification magnifiquement conservés gravissent élégamment une montagne culminant à 1 182m d’altitude.
Au XIIe siècle, Albarracin est une taïfa sous la dynastie Maure des Banou Razin. Lors de la Reconquista initiée par les chrétiens, la bourgade sera le lieu de terribles batailles avant de passer sous le contrôle des Rois Catholiques.
...et de ses légendes
C'est ainsi qu'une légende est née au Moyen Âge, racontant cette horrible période pour les albarracinois. Le village était alors assiégé par les Maures. Les réserves de vivres diminuaient rapidement, la famine s'installait. Les habitants craignaient de ne pouvoir résister longtemps aux assauts ennemis. Dans un acte de désespoir, ils décidèrent le sacrifice de leur dernier taureau pour se nourrir. Au moment de la mise à mort, l’animal se détacha brusquement. Effrayé, il se mit à courir en tous sens dans les rues d’Albarracín traînant la corde qui l’étreignait derrière lui. C'est après de longues heures d'une course-poursuite que les habitants, épuisés, le récupérèrent assoiffé. Ils ne le tuèrent pas , bien en contraire, interprétant l’obstination de l’animal à vouloir vivre coûte que coûte comme un signe divin, si bien qu'ils se battirent eux-mêmes avec une telle ténacité contre les assiégeants, qu’ils réussirent à repousser l’attaque des maures et à sauver la ville... pour cette fois!
Des ruelles moyenâgeuses
Depuis, chaque année, une fête locale en septembre, célèbre la légende du «Torico de la Cuerda». À cette occasion, un petit taureau orné d’une corde est lâché dans les rues du village, symbolisant le courage et la détermination de ses habitants à se défendre contre l’adversité.
Pour l'heure, nous garons le véhicule dans un parking payant du côté du pont du Guadalaviar à proximité de l’office de tourisme.
Sur notre droite, la rue principale grimpe si sévèrement que nous peinons à monter tant nos mollets se sont ramollis. De chaque côté, des maisons moyenâgeuses en pierre rougeâtre donnent un cachet tout particulier au lieu resté presque dans son jus. Ici, vit encore un millier d’habitants.
C’est en arrivant à la naissance des remparts que nous décidons de faire des travellings et des panoramiques afin de montrer à nos visiteurs toute la beauté du paysage.
De profonds canyons
En contrebas, le lit du Guadalaviar, façonné durant des millions d’années, creuse un canyon vertigineux difficile à traverser. De notre point de vue, l’intérêt stratégique de cette cité pour les populations d’alors devient évident. Aujourd’hui, cet endroit est encore préservé. De nombreux rapaces viennent y nidifier. Subjuguée et dépaysée, me transportant dans cette époque lointaine, j’abandonne mon partenaire de jeu à l’arrière, dont la forme n’est pas des plus olympiques. Il me rappelle le scénario que nous avons imaginé pour la visite panoramique que nous avons en projet, et me montre son exaspération face aux prises de vue à recommencer. Il est vrai que depuis ce matin, il se plaint d’une nuit blanche occasionnée par un rhume ou par un coup de froid contracté la veille.
La cathédrale de Salvador
Une fois l’itinéraire de la forteresse achevé, et passée la mauvaise humeur, nous redescendons en direction de l’imposant château maure qui domine le village. La montée est aussi rude ici. C’est toutefois un régal de déambuler dans ses ruelles pittoresques et d’imaginer «el Torico de la Cuerda» dévalant les pentes d’Albarracin.
Aujourd’hui, ce sont les cloches de la cathédrale de Salvador qui annoncent un événement, un mariage probablement. Des familles et de jeunes gens sur leur 31, empressés de battre le pavé, se dirigent vers ce lieu de culte édifié sur une ancienne église romane du XIIe.
Retour vers Roulotte
Il est temps à présent pour nous de reconstituer notre réserve d’eau et de retrouver Roulotte. Sauf que l’état de Jean-Paul ne s’améliore pas, bien au contraire, et cela commence à m’inquiéter sérieusement, d’autant que je ne conduis pas souvent la caravane.
De plus, Jean-Paul m'avoue que si son état empire, c'est sans doute à cause des quatre Dolipranes périmés qu'il a pris depuis ce matin.
Cependant, nous rentrons par la route menant à Bezas où des traces d’occupation humaines remonteraient au paléolithique. D'ailleurs, des grottes préhistoriques sont notées dans le guide. Mon inquiétude persiste pour l'heure; Jean-Paul sera-t-il rétabli demain pour les visiter?