On abandonne tout?
Hier, malheureusement, la visite de la cité médiévale d'Albarracin a été largement entachée par l'état de santé de Jean-Paul. Il ne va pas mieux, bien au contraire. Nous rentrons précipitamment de la bourgade, espérant trouver dans Roulotte un anti-inflammatoire qui pourrait faire baisser sa fièvre. Notre chambre ambulante, toujours sous la surveillance du Géant de pierre, est alors mise sens dessus dessous, en vain ! De plus demain, c'est dimanche. Il est peu probable qu’un dispensaire ou même une pharmacie soit ouvert.
Pour l’heure, Jean-Paul s’effondre littéralement dans le lit, et je reste seule toute la soirée à m'interroger sur nos projets futurs, notamment celui de passer les trois mois d'été en Norvège. Cependant, je me couche en espérant que cette nuit de repos sera profitable à mon compagnon et que tout ceci ne sera qu'un mauvais souvenir.
Malheureusement, la nuit s'est mal passée, avec les quintes de toux incessantes pour le malheureux. Sur Internet, il est mentionné une officine d'astreinte à Albarracin ouverte de 9h à 13h ce week-end. Jean-Paul n'a pas le choix, je l'oblige à se lever et à m'accompagner. Peut-être aurons-nous l'adresse d'un médecin qu'il pourra consulter...
À la recherche d'une pharmacie
J'arpente les ruelles du village, Jean-Paul souffle loin derrière moi. En attendant qu'il me rejoigne, j'en profite pour demander aux passants où se trouve l'officine, sauf que la plupart d'entre-eux sont des touristes comme nous!
Soulagés, nous trouvons finalement la pharmacie et nous nous procurons quelques remèdes pour traiter ce coup de froid. Pas de praticien dans la bourgade, le seul cabinet médical semble fermé. Erreur! Nous aurions dû sonner et nous faire connaître, apprendrons-nous plus tard. Jean-Paul ne veut pas s'y rendre de nouveau et pense que les seuls médicaments achetés suffiront à le soigner.
La source du Tage
Au café, il avale les cachets et une bonne rasade de sirop et prend le risque de m'accompagner aux sources du Tage, à une trentaine de kilomètres d'Albarracin.
Je conduis tout le long, bien heureuse de ne pas tracter Roulotte, pendant que Jean-Paul se repose. La route traverse une longue vallée boisée et encaissée avec sa cascade Batida. À quelques encablures, dans de vastes pairies, des brebis paissent paisiblement; le berger et ses patous ne sont pas très loin. L'Aragon a su garder ses métiers d'autrefois et met en valeur ses campagnes pour notre plus grand bonheur. Nous prenons le temps de nous arrêter quelques minutes pour écouter les clochettes apportant de la gaîté aux lieux.
Allégorie du Tage
Bientôt, un panneau indique la « Fuente de Garcia ». Nous sommes arrivés à la naissance du Tage. Je me gare au parking du site et vois sur ma gauche un monolithe gigantesque qui trône au milieu d'un ensemble sculptural. Jean-Paul en profite pour prendre une bouffée d’air frais. Au premier abord, j’ai du mal à comprendre l’œuvre. Elle me paraît grotesque et démesurée, et c'est seulement en me documentant que je perçois toute la richesse de l'allégorie des statuts.
L’œuvre évoque les trois provinces que réunit la source du Tage: Teruel représentée par son Torico, le calice pour Cuenca et le chevalier pour Guadalajara. Le Titan a une étoile sur la tête, ce qui rappelle les neiges hivernales des « Montes Universales » d’où il émerge. Sa barbe se désagrège en 4 ruisseaux signifiant le dégel des eaux au printemps. C’est alors que son épée plantée dans la base du sol fissure le pays d'est en ouest, façonnant ainsi le lit du Tage, le plus long fleuve de la péninsule ibérique. Il mesure 1078km dont 802 se trouvent en Espagne. Sa particularité est de suivre sur 48km la frontière espagnole et portugaise avant de traverser une partie du Portugal sur 228km. Il se jette à Lisbonne dans l'océan Atlantique.
Pause déjeuner
Une fois l’énigme des statuts résolue, je reviens à la voiture victorieuse, et constate que mon compagnon est encore plus fatigué, peu enclin à écouter mes découvertes. Les kilomètres parcourus ont creusé mon estomac affamé. Jean-Paul se traîne jusqu’à la source pour se rafraîchir et fait les provisions d'eau froide et pure de la haute montagne. À proximité de la fontaine se trouve une zone de loisir très bien entretenue où nous décidons d'y déjeuner.
Sur le retour, Jean-Paul s'endort immédiatement dans la voiture, la tête appuyée contre la vitre fermée. C'est dans un silence lourd, que je nous ramène vers Albarracin. Après quelques kilomètres, il se réveille engourdi et prend le troisième cachet de la journée et insiste pour que nous nous arrêtions au « Pinares de Rodeno », lieu où l'on peut découvrir des peintures rupestres de plusieurs milliers d'années, classées au patrimoine mondial de l'UNESCO.
Les peintures rupestres d'Albarracin
Avec culpabilité, je m'enfonce seule dans la longue pinède au niveau du parking « Rio Cabriel » après avoir vérifié que nos deux portables sont bien allumés et suffisamment chargés.
L'odeur soutenue de la résine boisée et fraîche me remplit les narines. Le paysage offre de beaux contrastes entre l’ocre du minéral et le vert des forêts. Ici, le relief a été façonné depuis des millénaires. Les glaciers ont lissé les roches, les abandonnant comme empilées les unes sur les autres sans soucis de formes ni de tailles. On peut rencontrer sur le parcours des escaladeurs s’entraînant sur des blocs assez techniques, et de jeunes pousses opportunistes enracinés dans les fissures donnant l'illusion de sortir directement de la pierre.
Je regarde l'écran de mon portable, pas d'alertes de Jean-Paul; il a dû s'endormir sous l'effet des médicaments. Je m'aventure alors sur les hauteurs du site et imagine sans peine la vie des hommes d'avant traquant le gibier sauvage. L'itinéraire fléché me mène d'abri en abri où les peintures sont protégées par des grilles rouges rappelant la grotte de Chimiachas à Alquezar. Beaucoup d'empreintes sont effacées, mais on devine sur bon nombre d'entre-elles des figures animales et des scènes de chasse. Certaines pigmentées en blanc apparaissent comme spécifiques à la région.
Retour précipité pour la France
Mon inquiétude grandit depuis quelques minutes car je n’arrive pas à joindre Jean-Paul. Je décide d'écourter l'excursion, et le trouve finalement en bien mauvais état. Il m'avoue, à grand-peine, vouloir rentrer en France dès demain.
Ainsi, au petit matin, nous rangeons notre bivouac tant bien que mal et quittons notre paradis devenu moins idyllique pour moi si je devais y rester avec mon compagnon mal en point. Je suis là, face à ma réalité; je manœuvre difficilement Roulotte et mon sens de l'orientation se révèle un peu chaotique.
Étape à Alcañiz
Suffisamment de raisons pour partir sans attendre. Après 180km, nous atteignons Alcañiz, bourgade de 16 000 habitants, et dénichons un camping au bord d'un lac. Je suis soulagée. Le gérant nous indique un dispensaire au centre ville où nous trouverons certainement un médecin.
Je rapporte la bonne nouvelle à Jean-Paul qui préfère attendre une nuit de plus avant de consulter. Je prends alors mon courage à deux mains et conduis jusqu'au centre historique d'Alcañiz espérant que mon GPS ne me fera pas défaut pour revenir au camping. C'est une occasion aussi de parler espagnol avec des autochtones et de visiter la ville.
J'ai la surprise de découvrir que le cinéaste Luis Buñuel est un enfant de la région. Son documentaire sur l'Aragon en 1923 « las hurdes » m'a marqué. Il montre avec un réalisme glaçant la vie des paysans au début du 20e dans une certaine contrée d'Espagne. Depuis les fonds européens ont permis le désenclavement des villages, une véritable bénédiction pour les populations.
Que faire?
Finalement, nous passons quatre nuits au camping du lac, le temps pour Jean-Paul de se refaire une santé sans aller chez le médecin. J'ai pu, de mon côté, apprécier le calme du camping et les crépuscules lors de longues promenades autour du plan d'eau.
Toutefois, cette expérience nous a profondément marquée et questionnée sur la santé en voyage. Devrons-nous remplacer Roulotte par un fourgon ou un van, que je pourrais enfin conduire?
Abandonner Roulotte m'attriste, mais la perspective de gagner en autonomie m'oblige.
Cependant, durant le trajet retour, les négociations vont bon train car nous allons partir en Norvège bientôt. En van, fourgon ou en Roulotte?
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