Les retrouvailles
Après un parcours de 3 000 kilomètres et la traversée de 5 pays en 6 jours, nous sommes enfin arrivés à Hobøl, chez Irène, dans la ferme où Jean-Paul travaillait jadis comme ouvrier agricole en saisonnier.
Nous aurions pu prendre simplement un aller-retour pour Oslo en avion en partant de Barcelone. La durée du trajet n'est que de 3h10 à un coût raisonnable, mais c’était sans compter sur Roulotte, les plaisirs des campements inattendus, les péripéties de la route. Et cela n’a pas de prix pour les fous que nous sommes!
Arrivé donc à Hobøl, Jean-Paul retrouve son amie, comme s’ils s’étaient quittés la veille. Seules quelques rides et les cheveux argentés d’Irène rappellent que le temps est passé depuis 40 ans.
Le bois, un art de vivre
Notre hôte nous installe côté garage à proximité d'une prise électrique, à l’abri du vent et du soleil. Nous sommes enfin posés, ravis d'être proche de la forêt tout en profitant du jardin.
De sa porte, Irène nous invite pour une collation. Belle occasion pour moi, de voir l'intérieur tout en sapin d'une maison norvégienne. L’utilisation du bois est une tradition ici qui va bien au-delà de l’architecture. Les Norvégiens aiment à dire que les arbres les protègent depuis des millénaires, des Vikings aux voyageurs modernes. Aujourd’hui, les forêts couvrent 37% du territoire.
Des intérieurs chaleureux
Chez Irène, tout est soigneusement aménagé, un mobilier harmonieux de couleur clair et de bonnes factures. Différents coins lecture utilisés au gré des saisons accueillent rocking-chair, fauteuil club ou un simple banc dans le jardin. Sur le parquet, les tapis aux tons pastel et les photos de familles accrochées aux murs blancs ou posés sur des commodes contribuent à l'atmosphère intimiste de cette grande pièce de vie. De petites fenêtres donnent sur l’extérieur. Elles sont toutes habillées de rideaux légers et d'abat-jours à l’éclairage tamisé même en plein jour. Le poêle à bois stratégiquement installé à l’entrée de la maison vient compléter le chauffage au sol électrique indispensable en hiver. Il peut y faire -20 degrés à Hobøl les premiers mois de l’année, cela n’est rien en comparaison de Røros, une des villes les plus froides de Norvège que nous envisageons de découvrir un peu plus tard.
Le drapeau, tout une symbolique
Pour l’heure, nous sommes paisiblement installés sur la terrasse et profitons du soleil encore haut dans le ciel. Il est 18h00 en ce mois de juin. Ici aussi le fanion national flotte, accroché à son mât. Il est de couleur rouge avec une croix scandinave blanche au milieu, proche de la bannière danoise d’ailleurs, avec comme seule différence la croix bleue sur la croix blanche. Nous apprendrons plus tard qu’outre son aspect symbolique, le drapeau joue un rôle social. Il remplace par exemple le fanion lors d’événements spéciaux, une naissance, un mariage dans la famille. En revanche, pour un décès, il est abaissé au milieu du mât.
Des gaufres succulentes
Irène nous rejoint avec un plateau rempli de boissons fraîches et de "waffels" faites maison. Ce sont de fines gaufres que l’on agrémente de fromage norvégien ou de confitures, celle à la framboise a ma préférence! Les discussions en anglais vont bon train. Irène sort alors d’une pile d’ouvrages un cahier épais et usé. C’est le livre d’or de la ferme. Et là, sur une des pages cornées et jaunies, elle nous montre une photo d’identité prête à se décoller suivie de quelques lignes en pattes de mouche, celle de Jean-Paul à 19 ans. «Été 1980, je suis bien ici, c’est super, mais il n’y a pas de filles. Je ne sais pas si je vais revenir». Nous avons éclaté de rire devant l’insouciance de la jeunesse, car Jean-Paul, quatre ans plus tard, est devenu papa de son premier fils!
Une technique pour résister à l’hiver
En aidant Irène à ranger les assiettes, je lui demande en anglais quel est l'intérêt pour elle de laisser les lumières allumées toute la journée. Cette question me taraude depuis plusieurs heures d'autant que le prix de l’énergie flambe en France. Elle m'explique que c’est une tradition ancienne qui remonte bien avant l’arrivée de l’électricité. Elle poursuit en souriant: "Autrefois, il fallait maintenir les foyers éclairés pour que les pêcheurs se repèrent la nuit, à leur retour. Je me souviens que ma mère utilisait des lampes à huile. Aujourd’hui, c’est une façon pour nous de garder le moral et nous avons pris l’habitude de laisser des éclairages, même quand nous quittons la maison".
Il m’apparaît alors évident que ces petits points lumineux empêchent la sinistrose de s’installer en rentrant chez soi. Ils souhaitent la bienvenue aux visiteurs et réchauffent les cœurs durant les longs mois d'hiver. J’ai bien compris qu’Irène maintiendrait cette tradition. C’est ainsi que je découvre une technique surprenante anti-déprime, visiblement partagée par la plupart des Norvégiens, et également d'autres peuples scandinaves.
Le coucher de soleil
Il est près de 22 heures lorsque nous prenons congé de notre hôte, heureux de ces moments de partage. Il fait jour comme à 16h00 en France. Nous ressentons encore la fatigue de ce voyage, mais n’avons pas sommeil. Notre rythme biologique est sûrement bouleversé. Les rayons du soleil traversent les ouvrants de Roulotte, nous abaissons les stores en espérant pouvoir dormir.
C’est peine perdue. Vers minuit, je lance dans la pénombre à Jean-Paul la question qui tue : « Tu dors?
— Chut, me répond-il d’une voix bien éveillée. Puis il rajoute: demain, nous prendrons le petit déjeuner avec Irène et partirons à 9 heures pétantes pour Moss... comme d’habitude, tu auras du mal à te réveiller! »
N’y tenant plus, je fais fi de ses prédictions et me lève, enjambant le corps de mon compagnon. Je me glisse sans bruit derrière la caravane. Un magnifique coucher de soleil colore le ciel de nuances d’orange, de rouge et de rose. Je reviens sur mes pas pour récupérer l’appareil photo et immortaliser l’instant, cela sera le dernier cliché de notre sixième jour, mais quel spectacle!
Suite au prochain épisode et en nous suivant dans le Flash Actus de la page d'accueil du site...