La Norvège: un coup de cœur
Je me souviens encore du moment où tout a commencé. Quitter la chaleur écrasante de Perpignan en plein mois de juin pour m’aventurer vers les terres mystérieuses de Norvège. Une Réunionnaise comme moi, née sur un caillou tropical, se retrouver à explorer les fjords, forêts et toundra et peut-être les aurores boréales si je poussais le voyage jusqu’au Grand Nord, qui sait?
Vous vous souvenez?

Jean-Paul et moi avons pris la route en ce beau mois de juin avec Roulotte… destination Hobøl, petite commune à 40 kilomètres au sud d’Oslo où vit Irène, une amie de longue date de mon compagnon, mais aussi point de départ de nos 50 jours au pays du soleil de minuit.

Une architecture qui raconte une histoire...
Dès mon arrivée, j’ai été frappée par l’architecture traditionnelle. Ces grandes maisons en bois peintes en rouge vif – la fameuse couleur Falu Rödfärg – semblaient surgir tout droit d’un tableau.
Plus loin dans notre périple, je découvrais des habitations bleues ou vertes, tandis que celles toutes en blancs, étaient réservées autrefois aux riches et témoignent d’une hiérarchie sociale aujourd’hui estompée. Mais ce qui m’a fascinée, ce sont les hytters. Ces petites cabanes rustiques aux toits végétalisés supportant parfois de maigres arbustes. Les Norvégiens utilisent depuis des siècles pour leur toiture de la tourbe tassée sur un lit d’écorces de bouleau, idéal pour l’isolation dans ses régions froides et humides. Ces habitats se fondent parfaitement dans la nature environnante, même dans des contrées très reculées. Ils incarnent un savoir-faire ancestral et surtout un lien intime avec la terre.

...très protégée par la population
Aujourd’hui, 1/3 des foyers en possède une, et le rêve de la majorité des jeunes gens que nous avons croisés est d'avoir la sienne. Dès que l’occasion se présente, ils n’hésitent pas à construire la leur ou à en démonter une de toute pièce pour la mettre ailleurs. Pour un étranger, il est difficile d’en acheter tant le prix est élevé, car rare sur le marché immobilier. Ainsi, elles restent le plus souvent dans le patrimoine familial.
Les hytters ne sont pas grandes, une ou deux chambres tout au plus, avec un confort rudimentaire. Et pourtant, je me suis interrogée: ces cabanes si simples et authentiques ne risquent-elles pas de perdre leur âme face à la modernité? Certains Norvégiens y intègrent désormais des technologies sophistiquées comme le chauffage à distance ou l’éclairage connecté. Est-ce une évolution inévitable ou une trahison de leurs racines ?

Le pays des trolls, un pays riche de contes et de légendes
Traditions et croyances bercent ce peuple nordique où les contes et légendes s’inspirent de la beauté naturelle du pays, de son immensité. Des montagnes, où les trolls se transforment en pierre. Des forêts et brumes mystérieuses où se cachent des créatures endormies, prêtent à se réveiller à la moindre présence humaine. Des aurores boréales, véritable passerelles pour toutes ces créatures vers le Valhalla, royaume des dieux.

À la mairie d’Oslo, de magnifiques fresques en bois sculptés racontent l’histoire de ces dieux, êtres fantastiques. Mais ont-ils encore leur place dans cette civilisation où les nouvelles technologies semblent avoir pris le pouvoir? Peu de panneaux d’information ou directionnels sur les routes. En effet, aujourd’hui, le Graal semble se trouver dans les méandres des QR code ou du suivi GPS pour trouver sa voie.

Le friluftsliv: un mode de vie inspirant, mais paradoxal
En Norvège, j’ai découvert le concept du friluftsliv, cette philosophie qui prône une vie en communion avec la nature et une confiance en l’autre.
Chaque week-end, les Norvégiens fuient les villes pour se ressourcer dans leur hytta, faire de la randonnée, chasser, pêcher ou simplement marcher sous une pluie fine. Ce rapport apaisé avec les éléments m’a profondément marquée.
J'ai été surprise lorsque nous tombons sur un pavillon en bois à proximité de lacs. Les conditions de pêche y sont affichées, avec comme seule instruction celle de déposer un billet d’inscription et quelques couronnes dans une boîte en fer blanc pour obtenir un permis temporaire.

Pareillement, tout le long des routes de campagnes, des étales proposent des baies, fruits et jus frais où est posée une caissette non fermée pour le paiement. Il nous est même arrivé de faire des courses dans une supérette et de régler en carte sans la moindre présence humaine.

Une transparence sociale qui interroge
Un autre aspect fascinant –et déstabilisant– le souci de transparence sociale en Norvège. Ici, chacun peut consulter les revenus et impôts des autres citoyens par l'Internet. Une pratique impensable en France! Cette égalité affichée se reflète aussi dans les écarts salariaux réduits et une redistribution généreuse des richesses grâce aux rentes de l'exploitation du pétrole et du gaz.
Ce souci d’équité se trouve également dans les cimetières luthériens à proximité des petites églises en bois debout, les pierres tombales où les stèles sont souvent très sobres, quasiment uniformes. Nous sommes loin du Père-Lachaise ou tout lieu de sépulture en France.
Mais je n’ai pas pu m’empêcher de me poser une question: cette discipline collective ne risque-t-elle pas d’étouffer la créativité, l’imaginaire, l’esprit critique?

Une société écologique… mais pas sans contradictions
La Norvège est quelquefois citée comme un modèle écologique. Ses paysages impeccables, la propreté des lieux (à l’exception de mon point de vue d’Oslo et Bergen), ses espaces entretenus par des robots tondeurs, tout semble témoigner d’un respect absolu pour l’environnement.
Pourtant, j’ai ressenti une certaine dissonance. Peut-on vraiment parler d’écologie quand l’exploitation pétrolière reste au cœur de son économie? Que la pêche à la baleine est toujours pratiquée? Que des fermes aquacoles produisent des saumons d’élevage élevés aux OGM dans grand nombre de fjords? Et que dire de cette obsession pour le contrôle parfait de la nature, au point de critiquer un jardinier royal pour avoir laissé pousser quelques herbes folles?

Une réalité inquiétante, l’américanisation de la société
Un paradoxe m’a sauté aux yeux: comment ce peuple si proche de la nature peut-il être le second plus grand consommateur de Coca-Cola au monde par habitant, après l'État du Chiapas au Mexique? Dans un pays où tout semble respirer l’écologie et l’authenticité, voir des hot-dogs et des hamburgers envahir les assiettes m’a laissée perplexe. Cette américanisation galopante ne risque-t-elle pas de diluer leur identité culturelle? Avec seulement cinq millions d’habitants, la Norvège pourrait-elle perdre son identité face à une mondialisation toujours plus pressante?
Bercée par toutes mes lectures, je ne pouvais imaginer, lors de ce voyage, me questionner autant sur la diététique.

Et moi dans tout ça?
Ce voyage va bien au delà d'une découverte touristique; il m’a poussée à réfléchir sur mes propres choix de vie. Entre tradition, culture et modernité, entre respect de la nature et confort technologique, entre protectionnisme, impérialisme et mondialisation où se situe l’équilibre?
La Norvège m’a offert bien plus que ses paysages grandioses: elle m’a confrontée à mes propres contradictions et à celles du monde moderne.
Cet article serra le dernier des six épisodes sur la Norvège, l’actualité nous rattrape. Il me faut mettre à présent la main à la pâte pour réaliser notre future VroomVroom!, sujet de mon prochain article.
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NOTE: Dès que possible, Jean-Paul mettra en ligne une carte dynamique, avec des zones réactives de notre itinéraire qui vous redirigeront vers une galerie de photos, vidéos et panoramiques des lieux concernés.