Vendre Roulotte ?
Un crève-cœur inévitable
Trois ans que Roulotte est notre cocon sur roues. Trois ans de paysages à perte de vue, de nuits bercées par le vent, d’aubes éclatantes dans des recoins sauvages. La vendre? L’idée nous déchire.
C’est à Albarracín, en Espagne, que nous avons senti ses limites. Ce jour-là, nous vivions l’instant, insouciants sous un soleil généreux, jusqu’à ce que Jean-Paul soit pris d’une fièvre brutale. Panique. Comment ramener Roulotte en France si je ne peux pas la tracter seule? Heureusement, il a tenu bon jusqu’à Alcañiz, où nous avons trouvé refuge le temps de son rétablissement. La proximité d’un médecin et d’une pharmacie nous a rassurés. Mais cet épisode a planté une graine de doute. Et si notre chambre roulante n’était plus adaptée aux voyages que nous rêvions de faire?

Une décision gravée sur les routes de Norvège
L’été 2024 a scellé notre choix. La Norvège nous a donné la réponse. Sur ces routes étroites et sinueuses des fjords, nous avons lutté. Chaque virage était une épreuve, chaque montée un défi. Ce pays nous a offert des panoramas à couper le souffle, mais aussi une évidence: nous devions dire adieu à Roulotte, notre chère Roulotte...
Et pourtant, l’appel du voyage restait intact. L’idée d’abandonner cette liberté qui nous animait était inconcevable. Nous ne pouvions pas renoncer aux nuits passées loin du monde, bercés par le silence des montagnes, enivrés par les parfums de thym et d’estragon ou les embruns iodés du littoral.
>
Quel véhicule pour une nouvelle aventure?
Renoncer à Roulotte, oui. Mais pour quoi?
L’idée d’un camping-car ou d’un van a vite été écartée. Trop volumineux, trop bas au plancher, pas assez adaptés à notre soif d’aventure, de plus les modèles haut de gamme, à plus de 100 000 euros, ne nous convainquent pas: finitions décevantes, manque de robustesse et coût exorbitant… Seul le Mercedes Sprinter 4x4 semblait répondre à nos besoins, mais son prix, même avant aménagement, dépassait largement notre budget.
Ainsi, une alternative plus radicale s’imposait: le 4x4 avec cellule.

Alors, pick-up ou pas pick-up?
L’idée du 4x4 aménagé nous intriguait. Pour en savoir plus, direction Montélimar et son Salon du véhicule d’Aventure. Une bonne excuse aussi pour un dîner dans une auberge réputée (je vous donnerai l’adresse si vous me la demandez en commentaire !).
Après une nuit réparatrice, nous découvrons un univers qui nous parle enfin: des modèles taillés pour l’exploration, capables de quitter les routes balisées et d’atteindre des villages reculés, loin des circuits touristiques. Sous un vent mordant, je visite chaque prototype avec curiosité. Jean-Paul, lui, rêve déjà de pistes dans les Alpes italiennes et de road trips en autonomie.
Mais avant de faire un choix, un test s’impose.

En avant pour les tests !
Avant de nous décider, il nous fallait une vraie mise à l’épreuve. Nous réservons donc un pick-up 4x4 avec cellule pour trois jours, du 16 au 18 octobre. Coût de l’expérience: 300 euros hors carburant, avec une caution salée de 2 000 euros. Petite pression supplémentaire: nous sommes les premiers clients de cet assemblage tout neuf.
Le contrat de location en poche, nous garons le Duster et, sans plus attendre, prenons en main le véhicule. Excitation, curiosité… et un détail qui nous frappe soudain: toutes nos courses sont restées à Perpignan! Adieu le bon chocolat, le pain croustillant, le fromage affiné et la bouteille de cidre prévue pour fêter l’événement. Un peu dépités, nous nous rabattons sur une petite épicerie de proximité avant de quitter Saint-Nazaire (66). Il est déjà 11 h lorsque nous nous engageons sur la nationale.

Un véhicule hors norme
Dès les premiers kilomètres, l’appréhension se fait sentir. Le véhicule impose son gabarit avec ses 2,75 mètres de haut. L'intérieur me plaît: je peux me tenir debout pour cuisiner. Mais Jean-Paul, lui, préfère un toit relevable, plus discret, plus aérodynamique. Malheureusement, impossible d’en louer un dans la région.
Nous prenons la direction de la Catalogne, bien décidés à éprouver l'assemblage en conditions réelles. Notre itinéraire nous mène en moyenne montagne, sur la piste du Bassegoda, réputée pour sa technicité. Un test grandeur nature avant de redescendre vers la Méditerranée, le long de ses routes sinueuses et de ses panoramas à couper le souffle.
Et comme par hasard, c’est la lune du chasseur…

Le passage de la frontière se fait sans encombre. Soixante kilomètres plus tard, nous atteignons notre première étape: San Llorenç de la Muga. Mais une chose est sûre, la conduite d’un tel engin demande un temps d’adaptation. Plus de 2,5 tonnes à manœuvrer, une cellule qui modifie l’équilibre du véhicule… La moindre erreur peut coûter cher.
Visite de San Llorenç de la Muga

Une fois le véhicule garé près des remparts, nous pénétrons dans l’enceinte médiévale par la première des trois portes fortifiées. Nous longeons le vieux canal, observons la roue à aubes, puis passons sous un second porche qui s’ouvre sur une tour maure dominant le paysage. De minuscules ruelles pavées serpentent jusqu’à la placette centrale, où trône une fontaine fleurie.
Impossible d’explorer ces lieux autrement qu’à pied. Un véhicule aménagé ici? Inenvisageable!
Un café nous fait de l’œil. Attablés en terrasse, savourant quelques tapas, nous nous laissons happer par l’ambiance espagnole. Les conversations animées, l’odeur des épices… On se sent ailleurs, et pourtant si bien. La péninsule ibérique reste décidément notre terrain de jeu favori.

Le piège des chênaies
Requinqués, nous quittons le village et filons vers les pistes de montagne. Au bout de cinq kilomètres, nous bifurquons à droite sur un chemin peu fréquenté. Trop peu fréquenté. Les traces de roues sont rares, les branches basses menacent la carrosserie… Mauvais pressentiment.
Jean-Paul manœuvre avec prudence, mais je n’en mène pas large. Ma mâchoire se crispe, mes ongles s’enfoncent dans l’accoudoir. La forêt semble se refermer sur nous, comme pour nous étouffer, l’air devient plus humide, plus oppressant. À chaque cahot, j’ai l’impression que tout va basculer.

La chapelle romane
Deux heures plus tard, après trente kilomètres d’effort, un joyau surgit de l’écrin végétal: la chapelle romane de San Julia de Ribelles, solitaire et majestueuse. Ici, pas un bruit, pas une âme à des kilomètres à la ronde.
Nous inspectons le pick-up et sa cellule, redoutant des dégâts… mais rien à signaler. Soulagés, nous nous installons pour la nuit. Tandis que Jean-Paul profite d’une douche sous les derniers rayons du soleil, j’explore la petite église millénaire.
Construit en 947, cet édifice fut jadis un lieu central pour les villageois vivant de charbon de bois, de culture et d’élevage. Autour, les terrasses agricoles abandonnées témoignent d’un passé révolu. La porte en chêne massif, ornée de ferronneries anciennes, n’est pas verrouillée.
Je pousse doucement…

À l’intérieur, une nef en ruines. Quelques gravats, une lumière tamisée filtrant par les interstices. Au plafond du chœur, des traces de peintures rouges et noires, dernier écho d’un autre temps. L’atmosphère est saisissante.
Je ressors sur la pointe des pieds, comme pour ne pas troubler la chapelle endormie.
Une mauvaise surprise
Après un dîner sous la lune, nous sombrons dans un sommeil réparateur… jusqu’au matin.
Je me lève la première, encore engourdie, et me dirige vers la kitchenette pour préparer le café. Une goutte froide s’écrase sur ma nuque.
Je fronce les sourcils. De l’eau?

Je lève la tête: de minuscules gouttelettes perlent au plafond, oscillant dangereusement au-dessus de nos tasses. En y regardant de plus près, la condensation est partout.
Maugréant, je réveille Jean-Paul. Nous savions que l’humidité était un problème bien connu des vans et camping-cars qui voyagent à l'année, mais nous pensions que les cellules en bois y échappaient. Erreur! La conception hermétique (nautique) ne permet pas une bonne aération.
Un point à surveiller de près…
La peur de ma vie
Nous rangeons le campement et entamons la route en direction de la piste du Bassegoda. « Nouvelle journée, nouvelle aventure ! » entonnons-nous pour conjurer le sort. Mais déjà, un voile gris s’étend sur le ciel.
C’est moi qui prends le volant. L’heure de prouver mes talents de conductrice.
Les premiers kilomètres sont rudes. Des pentes à plus de 16 %, des chemins creusés par l’érosion, de véritables pierriers aux rocs énormes! Mes épaules se tendent, mes doigts se crispent sur le volant.
Le vide est là, à quelques centimètres. Une erreur, et c’est la chute.
J’essaie de respirer, mais chaque virage me fait douter. J’ai mal au ventre, le stress me broie l’estomac. Et puis, le ciel s’assombrit, devenant menaçant.
Impossible de continuer ainsi.
Quand le temps se fait ennemi
Je me demande à chaque épingle si nous rejoindrons un jour la route bitumée. Après deux kilomètres, j'exige un changement de conducteur pour souffler un peu et faire un état des lieux. Ouf ! Pas de dégâts, les chênes verts aux branches basses ont laissé quelques traces à peine visibles. Les jantes et les roues du véhicule ne présentent pas de chocs particuliers.

Il est urgent de partir, l’orage gronde. Jean-Paul se met au volant, accélère pour quitter la piste au plus vite, redoutant l’embourbement ou les glissades si la pluie arrivait. Enfin, nous atteignons l’asphalte et continuons jusqu’au hameau perdu de Lliurona. Mon compagnon me raconte qu’au début du siècle, plus de 200 âmes peuplaient le village, mais les difficultés économiques ont poussé ses habitants à chercher du travail dans l’industrie, loin de chez eux. Dans les années 90, des jeunes, animés par des idéaux, sont retournés sur les traces de leurs ancêtres, et une école a même vu le jour.
Je doute de pouvoir visiter ce petit écrin d’histoire.
L’averse s’abat sur la cabine du véhicule, couvrant nos voix et nous forçant à un arrêt à l’orée de la forêt. Il est presque midi.
Lliurona, une évasion hors du temps
Peu à peu, la tempête s’apaise. Épuisée par cette matinée, je m’enfonce dans un sommeil profond. Après deux heures de sieste, je me réveille, regarde à travers la minuscule fenêtre: les couleurs du paysage se ravivent après la pluie, tandis que les odeurs d’humus me chatouillent les narines. Un chemin de terre, séparant l’oliveraie de la mare, mène à Lliurona. Ce village atypique ne se visite qu’à pied par de minuscules sentiers muletiers. Nous atteignons le point d’eau et descendons jusqu’à la petite église du XIe siècle. Là, Aristote, Platon, Montesquieu, Freud et bien d’autres se côtoient dans la bibliothèque, qui sert également de salle des fêtes pour la population.
Une fois de plus, les maisons se sont vidées au fil du temps. Quelques habitants endurcis entretiennent encore quelques potagers, dans l’espoir qu’une nouvelle génération reprenne le flambeau peut-être?

Dernière escale à Colera
Le temps file, il faut partir! Nous roulons à vive allure vers Colera, petite commune du littoral espagnol, pour notre dernière nuit. En prenant la route du col, plus en altitude, nous profiterons, c’est certain, d’un meilleur panorama sur la baie. Bonne option: c’est tout simplement grandiose avec ce lever de pleine lune sur une mer d’huile. Une brise légère refroidit l’air chaud qui s’échappe de la terre et des pousses jaunies par le soleil; un instant parfait pour confronter nos ressentis après cette journée mémorable. Les seuls éléments dissuasifs restent la hauteur vertigineuse et la condensation de cet assemblage.
Après un dîner rapide, nous nous installons confortablement, regardons un western, tandis que le sommeil nous enveloppe déjà.

La tempête en pleine nuit
Au beau milieu de la nuit, le pick-up se met à tanguer en tous sens. Nous nous réveillons en sursaut, scrutant l’obscurité. Un esprit malicieux voudrait-il nous faire fuir? Non, le vent s’est levé brusquement, il rugit avec des rafales de plus de 100 km/h, balayant le plateau. Malgré tout, nous sommes serein, mais nul doute qu’une tente de toit relevable se serait déchirée sous cette furie.
Jean-Paul décide de quitter les lieux, malgré le sentiment de sécurité que nous procure cet habitacle. Pour rappel, le véhicule est une location, hors de question de risquer qu’il se renverse. Ensommeillé, il prend les clés au clou, démarre, et part à la recherche d'un endroit plus à l’abri. Je proteste, préférant rester dans la cellule pour m’assurer que tout ne vole pas en éclats. C’est finalement moi qui suis secouée, incapable de tenir debout plus d’une demi-seconde lorsqu'il se met à rouler. Je me réfugie alors sur le lit mezzanine et me cramponne tant bien que mal.

Je scrute l’extérieur, à travers la lucarne, mais l’obscurité me perd. Après un quart d’heure, le véhicule finit par s’arrêter. Jean-Paul lutte contre les bourrasques pour ouvrir la porte. Il parvient à entrer à la force des bras. À ses dires, aucune parcelle environnante n’échappe à ce déchaînement. Cette situation me rappelle les cyclones de mon île natale, La Réunion, même si les rafales sont moins violentes ici. Le calme revient au matin. Je réalise que la tentative de fuite était vaine: aucun arbre, aucune colline à des centaines de mètres pour nous abriter davantage. Nous retiendrons de cet épisode que les toits relevables en toile, bien que plus légers, ne sont pas faits pour résister aux vents de grande intensité.

Bilan et retour à la réalité
Ces différentes expériences nous poussent à une réflexion sérieuse avant tout investissement. Nous entamons tranquillement le chemin du retour, tristes de devoir déjà rentrer à Perpignan, car nous aimons cette vie de nomade.
Le choix le plus réaliste serait l’achat d’un pick-up 4x4 neuf, car ni mon équipier ni moi ne sommes mécaniciens. Quant à la cellule, que faire? Celle préfabriquée paraît une option attrayante, mais elle coûte près de 50 000 euros équipée, sans compter les problèmes d’humidité, de gabarit, et les mauvaises surprises de conception.
Jean-Paul a déjà sa petite idée, mais je ne la connais pas encore...
Bien sûr, il s'agit de VroumVroum!, cette folle aventure de la construction de notre propre cellule, tout en bois, que nous sommes en train de réaliser!
Pour les plus curieux d’entre vous, je finirai par cette information: la totalité de la caution a été rendue. Ouf !
Vous pouvez nous suivre dans le Flash Actus de la page d'accueil du site pour des nouvelles plus récentes...
